Grâce à l'IA, pourra-t-on davantage prévenir que guérir ? Cette technologie révolutionne notamment l'ophtalmologie, où elle facilite la détection précoce de pathologies. Éclairage auprès du Dr Nicolau, ophtalmologiste et cofondateur de l'Institut Voltaire.
Capable d'analyser d'immenses quantités de données, l'intelligence artificielle s'avère un assistant 3.0 de choix pour les ophtalmologistes. Gagnant encore en précision grâce au deep learning, elle offre aux praticiens un gain de temps précieux et les aide à prioriser les cas pour sauver la vue des patients.
En quoi l'IA est-elle adaptée à votre discipline ?
Comme en radiologie, nous utilisons beaucoup l'imagerie. Avec une base de données composée de clichés représentant des milliers de patients, et des algorithmes avancés, l'IA nous aide à poser un diagnostic car les images sont toujours les mêmes. C'est devenu depuis 5-6 ans un outil de travail quotidien. Dans l'ophtalmologie, on travaille également beaucoup avec les chiffres. Or les mathématiques sont très reproductibles pour les machines, il n'y a pas besoin d'un sens clinique pour les analyser.
Quelles pathologies peut-elle dépister précocement ?
La DMLA, qui touche les plus de 65 ans, donne lieu à trois examens pris en cliché. L'IA ayant appris la description de la pathologie, elle peut la dépister sans que l'on ait nécessairement besoin de voir le patient. Elle aide aussi à diagnostiquer la rétinopathie diabétique, identifiable par des anomalies récurrentes sur la rétine, ainsi que les glaucomes, en lui précisant le degré de tension oculaire et l'amincissement du nerf optique. Enfin, le kératocône, maladie de la cornée touchant plutôt les sujets jeunes, peut être repéré sur la base d'une topographie cornéenne avant même que nous, cliniciens, puissions voir les premiers signes à l'image.
Quelle fiabilité des diagnostics ?
Selon une étude américaine approuvée par la FDA1 il y a 6 ans, la spécificité de l'IA est de 90 %, c'est-à-dire qu'elle a juste 9 fois sur 10. Les erreurs sont en fait liées à la qualité des clichés. Mais l'IA ne peut en juger ; elle donne systématiquement un résultat. Depuis, les bases de données ne font que s'étoffer, donc sa marge d'erreur - hormis intervention humaine - est minime. Et elle reste un support à notre expertise humaine, ce qui offre une double lecture sécurisante pour le patient.
Comment l'IA a-t-elle modifié votre pratique ?
Les praticiens courent après le temps. Nous avons à traiter de nombreux patients et perdons parfois du temps sur des images normales (environ 90 %). L'IA nous aide à nous concentrer sur les 10 % restants, où des anomalies sont repérées. Cela permet aussi de se rassurer sur son diagnostic clinique car dans notre métier, on est seul face au patient. Cependant, elle a ses limites : elle ne prend pas en compte ce dernier dans sa globalité (antécédents, histoire, comorbidités), se limitant à l'imagerie. C'est à nous praticiens d'indiquer un traitement grâce à un interrogatoire et à notre sens clinique. Ce que l'IA n'a pas encore, heureusement !
Comment l'IA peut-elle favoriser un accès plus inclusif aux soins ?
L'inégalité d'accès aux soins est longue à se résorber : il faut 15 ans pour former un médecin, seulement quelques heures pour une machine. Aujourd'hui, des assistants médicaux, orthoptistes, optométristes, peuvent réaliser des examens sans médecin, assistés par l'IA qui trie et priorise les cas à traiter. Cette approche, validée par les instances de santé, est mise en place notamment dans les déserts médicaux où elle montre déjà des résultats pour permettre une prise en charge rapide des patients.
Quelles avancées attendez-vous ?
Notre discipline demande une routine et une automatisation que l'IA pourrait apprendre. Lors de chirurgies de la cataracte par exemple, c'est aux cliniciens d'indiquer l'implant le plus adapté. Si demain l'IA peut analyser ces paramètres, elle deviendra un outil médico-légal supplémentaire, croisant le raisonnement du médecin au sien. Idem pour le laser, programmé manuellement, mais qui pourrait dans le futur devenir autonome, sous supervision et maintenance humaine. Cela soulèvera des questions légales : qui du médecin ou du laboratoire sera responsable ? Ces débats émergeront sans doute d'abord aux États-Unis, leaders dans ce domaine, et demanderont une coordination entre les instances politiques et de santé.
« Notre temps, c'est des patients : si l'IA peut aider à sauver leur vue et que l'attente pour un rendez-vous diminue, on a tout gagné. »
1 Food and Drug Administration.