Si chaque année la trêve hivernale empêche d'expulser des locataires durant la saison hivernale, cette protection ne fait que retarder les procédures en cours et ne concerne pas tout le monde. Explications.
Depuis le 1er novembre et jusqu'au 31 mars prochain, un locataire ne peut plus être expulsé de son logement. C'est ce qu'on appelle la « trêve hivernale ». Mais quels sont exactement les contours de cette législation protectrice ainsi que ses limites ? On vous dit tout.
Protéger les plus vulnérables
Comme le rappelle l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil), la trêve hivernale a été créée à la suite de l'appel de l'abbé Pierre durant l'hiver 1954 qui s'est révélé particulièrement meurtrier. Cette année-là, le thermomètre avait chuté en dessous des - 20 °C, alors que la France faisait justement face à une crise du logement sans précédent, consécutive aux bombardements dévastateurs de la Seconde Guerre mondiale. Des milliers de sans-logis ont ainsi été pris au dépourvu jusqu'à ce que l'abbé lance son célèbre appel à l'insurrection de la bonté.
Cette trêve hivernale sera ensuite officialisée par la loi en 1956. Tout d'abord prévue du 1er décembre au 15 mars, cette période de sursis aux expulsions sera ensuite étendue au fil du temps jusqu'à la loi Alur de 2014 qui détermine sa durée actuelle, à savoir du 1er novembre au 31 mars.
Un champ d'application précis
La trêve hivernale suspend l'exécution d'une décision d'expulsion pendant la saison froide. Elle s'applique donc uniquement lorsque le bailleur a obtenu un jugement en bonne et due forme. En revanche, ce dernier est tout à fait libre d'entamer cette démarche judiciaire durant les mois d'hiver, afin de pouvoir récupérer son bien lorsque la trêve sera terminée.
Une procédure d'expulsion locative peut en effet prendre entre 6 mois et 1 an selon la complexité de l'affaire, sachant qu'elle n'intervient que lorsque la tentative de conciliation amiable a échoué. Il faut alors en passer par une saisine du juge des contentieux de la protection (tribunal judiciaire ou tribunal de proximité) pour ordonner la résiliation du bail et l'expulsion, puis par un commissaire de justice (ancien huissier) pour délivrer un commandement de quitter les lieux au locataire. Au terme du délai imparti (2 mois en principe), l'officier public dresse un procès-verbal d'expulsion et peut demander le concours de la police ou de la gendarmerie pour faire appliquer la décision si l'occupant refuse de partir.
Plusieurs exceptions
Si les locataires d'un logement quel qu'il soit (appartement, maison, caravane, péniche ou encore tente) sont en principe protégés, la trêve hivernale ne concerne pas tout le monde.
Première exception de taille : ce sursis ne s'applique pas lorsqu'il existe une solution de relogement correspondant aux besoins de l'occupant. D'autre part, une décision d'expulsion prononcée par le juge aux affaires familiales peut être exécutée toute l'année si elle se fonde sur une ordonnance de protection dans le cadre de violences conjugales ou sur une ordonnance de non-conciliation dans le cadre d'un divorce. Quant aux étudiants vivant dans les résidences du Crous, ils peuvent être expulsés lorsqu'ils ne remplissent plus les conditions d'attribution de leur logement (article L.412-7 du Code des procédures civiles d'exécution).
Par ailleurs, il ne faut pas confondre locataire et squatteur ! Au sens de la loi, ce dernier est en effet entré illégalement dans la propriété d'autrui (logement, garage, terrain…) afin de s'y installer. Il ne bénéficie donc d'aucune trêve hivernale et fait l'objet d'une procédure spécifique.
Enfin, l'évacuation des occupants d'un immeuble frappé d'un arrêté de péril ne saurait être retardée par la saison puisqu'il s'agit de les protéger d'un risque d'effondrement.
Un record d'expulsions
La trêve hivernale n'offre qu'un sursis temporaire mais ne change rien à l'issue de la procédure. D'ailleurs, le nombre d'expulsions a explosé ces dernières années. En 2023, 19 023 expulsions locatives ont nécessité l'intervention des forces de l'ordre d'après un récent rapport de la Cour des comptes, contre à peine 3 000 en 1983.
Reflets d'une crise du logement profonde et durable, ces chiffres traduisent l'ultime recours de propriétaires épuisés par les démarches pour récupérer leur bien mais aussi de locataires fragilisés qui ne trouvent plus de solution légale pour garder un toit au-dessus de la tête. Dans un communiqué paru fin octobre 2024, la Fondation Abbé Pierre a expliqué ces records d'expulsions « par une pénurie de logements sociaux, une hausse généralisée des loyers, une précarisation croissante des ménages, une politique publique de prévention des expulsions très insuffisante et, de surcroît, par une sévérité accrue des préfectures vis-à-vis des expulsions locatives ».