Une jeune fille de 90 ans, le documentaire de Valéria Bruni Tedeschi et Yann Coridian, nous rappelle à quel point les ateliers de danse proposés par certains établissements médicalisés peuvent être une ressource bénéfique contre la démence des personnes âgées dépendantes.
Plusieurs structures de soins spécialisées dans l'hébergement de personnes âgées en perte d'autonomie sont soucieuses de développer des activités physiques, artistiques et culturelles adaptées à leurs patients porteurs d'un handicap psycho-cognitif. CHU, Ehpad ou cliniques privées font alors appel à des intervenants extérieurs, qui animent des ateliers de médiation auprès des résidents. Plus que du simple divertissement, ce type d'accompagnement est porteur d'objectifs concrets voués à améliorer les conditions de vie et de santé des patients, en particulier ceux touchés par la maladie d'Alzheimer.
La danse et ses objectifs de soins
Les danseurs qui interviennent dans des établissements médicalisés font face à des personnes vulnérables et à des corps fragiles. À travers la mise en place d'axes de travail concrets autour de leur discipline, ils secondent le personnel soignant dans la dispense de soins et la prévention des risques liés aux handicaps psycho-cognitifs.
Les pathologies démentielles comme la maladie d'Alzheimer et syndromes apparentés sont la cause de troubles praxiques. L'exécution des mouvements devient plus complexe et la coordination des gestes est altérée. En adaptant la pratique de la danse aux capacités physiques des patients, les intervenants parviennent à leur transmettre une meilleure perception du corps dans l'espace. Ils favorisent la diminution des tensions ou des rigidités musculaires et améliorent les mécanismes respiratoires. En ce sens, ils soutiennent le travail de l'équipe médicale. Plus toniques, les malades sont capables d'acquérir un meilleur équilibre et de récupérer de l'habileté motrice : une plus-value importante dans la prévention des chutes et des blessures.
En dehors de la diminution des troubles psychomoteurs liés à la démence, les bénéfices de cette discipline sont multiples pour les personnes âgées dépendantes. L'organisation d'un atelier en groupe favorise les échanges, renforce le lien social et vient redonner vitalité et dynamisme au huis clos médicalisé des malades et des soignants. Une pratique régulière permet aux participants de gagner en estime de soi et de valoriser l'image de leur corps et de leurs capacités physiques – parfois étonnantes. Au-delà des mots, l'accès à un moyen d'expression corporel peut également permettre aux personnes souffrant de troubles du langage d'avoir accès à de nouvelles stratégies pour s'exprimer différemment.
« Une jeune fille de 90 ans »
Avec beaucoup de pudeur et un immense respect, Valéria Bruni-Tedeschi et Yann Coridian s'immiscent dans la vie quotidienne aussi burlesque que monotone du service de gériatrie de l'hôpital Charles-Foix, à Ivry.
Suivant le travail en gériatrie du chorégraphe Thierry Thieû Niang, leur documentaire capture des instants d'une délicatesse surprenante et nous prouve à quel point les émotions provoquées par la danse sont des supports de communication intenses et bouleversants. Recueillant les témoignages de plusieurs résidents, le film se concentre peu à peu sur la métamorphose d'une résidente suite aux ateliers de danse proposés par le chorégraphe. D'une silhouette frêle et recroquevillée sur elle-même, cette dame de 92 ans atteinte de la maladie d'Alzheimer va peu à peu se révéler, distribuer les sourires et oser marcher sans sa canne. Jour après jour, Blanche danse de plus en plus longtemps et sans se fatiguer. Le regard ému des soignants, témoins ébahis des capacités encore inexplorées de la vieille dame, accompagne ses mouvements. La mémoire sensorielle et émotionnelle se déploie, le corps stimulé reprend confiance : la douleur et la maladie semblent même s'être momentanément éloignées.
Emportée par la passion, Blanche ira jusqu'à déclarer son amour à son jeune professeur de danse, visiblement gêné de la tournure inattendue que prend son atelier. Avec la spontanéité poignante d'une femme âgée qui n'a plus rien à cacher, et pas démente pour un sou, elle finira par affirmer les yeux plantés dans un vide tourbillonnant d'émotions réactivées : « C'est de la magie ! »