Les figures historiques de la télévision française investissent YouTube, entre réhabilitation de leurs archives et création de contenus inédits. Tandis que Thierry Ardisson, Mireille Dumas ou Évelyne Thomas redonnent vie à leurs émissions culte, d'autres, comme Claire Chazal ou Élise Lucet, adoptent les codes du numérique pour séduire une nouvelle audience.
La frontière entre la télévision traditionnelle et le numérique n'a jamais été aussi floue. Alors que YouTube continue de s'imposer comme une plateforme incontournable pour les nouvelles générations, un mouvement inverse s'opère : des figures emblématiques de l'âge d'or du petit écran y trouvent un second souffle. Il faut dire que l'audiovisuel français est en pleine mutation. Selon l'Observatoire de l'équipement de l'Arcom, les moins de 35 ans utilisent désormais autant leur téléviseur pour regarder YouTube que pour suivre des programmes télévisés traditionnels, brouillant ainsi les frontières entre ces deux univers.
Continuer d'occuper l'espace
Les smartphones, devenus le deuxième écran incontournable des foyers français, permettent quant à eux d'emmener partout ce qui relevait autrefois du salon familial. YouTube, avec sa bibliothèque infinie et ses algorithmes de recommandation, s'impose comme une extension naturelle de la télévision, réinventant ses codes tout en redessinant ses usages. La migration des grandes figures télévisuelles vers la plateforme californienne s'inscrit d'abord dans une logique de préservation et de valorisation d'un patrimoine audiovisuel souvent menacé par l'oubli. En lançant Arditube, Thierry Ardisson a ouvert la voie dès 2020 en proposant une vaste collection de ses archives, en partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel, permettant ainsi de préserver des décennies d'émissions marquantes. Il n'est pas le seul à avoir pris cette initiative : Mireille Dumas a relancé les entretiens intimistes de Bas les masques, Évelyne Thomas a redonné vie à son emblématique émission C'est mon choix, et Antoine de Maximy a mis en ligne les aventures de J'irai dormir chez vous. Ces contenus, déjà diffusés et rentabilisés à l'époque de leur production, trouvent sur YouTube une seconde vie, générant une nouvelle source de revenus grâce à la monétisation des vidéos, tout en occupant un espace qui aurait sinon été accaparé par des comptes parallèles ou pirates. En effet, sans l'intervention directe des ayants droit, ces archives finissent souvent par circuler illégalement sur YouTube ou TikTok, où elles continuent d'alimenter l'intérêt des internautes.
Réinventer les codes
Si certains animateurs se contentent d'exhumer leurs archives sur YouTube, d'autres font le pari audacieux de réinventer leur image en adoptant les codes du numérique, parfois à mille lieues des formats qui les ont rendus célèbres. Claire Chazal, figure iconique du journal télévisé, s'est ainsi lancée dans une série d'entretiens culturels mensuels, un format taillé pour les amateurs d'art et de grandes figures intellectuelles, mais présenté avec une sobriété qui tranche avec le cadre solennel de la télévision. Jamy Gourmaud, déjà perçu comme un précurseur de la vulgarisation avant l'ère YouTube grâce à C'est pas sorcier, s'est pleinement intégré à l'écosystème numérique avec une chaîne qui cumule près de 2 millions d'abonnés, séduisant une nouvelle génération avide de science accessible et ludique. Mais c'est Élise Lucet qui incarne peut-être le mieux cette hybridation des formats : avec Dérush, la star de l'investigation s'essaie à un exercice de réaction, un genre popularisé par les vidéastes du web, tout en y injectant la rigueur et la pugnacité qui ont fait sa réputation. Avec 1,4 million de vues pour le premier épisode et des milliers de commentaires saluant sa capacité à s'adapter aux codes du numérique tout en restant fidèle à son style, le succès fut au rendez-vous. Ces initiatives ne se contentent pas de singer les formats du web : elles témoignent d'une volonté de créer un dialogue entre deux générations et deux univers médiatiques.