Alors que l'ONU a approuvé son premier traité mondial dans la lutte contre la cybercriminalité, défenseurs des droits humains et géants de la tech dénoncent son périmètre trop large, craignant qu'il ne devienne un outil de surveillance massive entre les mains de régimes autoritaires.
L'ONU vient de franchir un cap majeur dans la lutte contre la cybercriminalité, mais ce pas en avant soulève autant d'espoirs que d'inquiétudes. Après trois années de négociations intenses, les États membres ont approuvé le 8 août le tout premier traité onusien visant à combattre les méfaits du crime en ligne. Cette Convention des Nations unies contre la cybercriminalité marque un tournant dans la coopération internationale sur le sujet. Cependant, l'encre n'était pas encore sèche que déjà une alliance improbable entre défenseurs des droits humains et géants de la tech tirait la sonnette d'alarme. Au cœur du débat : l'équilibre délicat entre la nécessité de lutter contre des fléaux comme la pédopornographie et le risque de créer un outil de surveillance mondiale aux mains de régimes autoritaires.
Satisfaction de l'ONU
La présidente du comité intergouvernemental, Faouzia Boumaiza-Mebarki, a conclu les débats sous les applaudissements : « Je considère que les documents sont adoptés. Merci beaucoup, bravo à tous ! »
Ce traité, initialement proposé par la Russie en 2019, doit encore être formellement adopté par l'Assemblée générale de l'ONU. Ce n'est qu'une fois ratifié par 40 États, qu'il entrera en vigueur. Pour autant, la satisfaction est déjà évidente. La déléguée sud-africaine, s'exprimant au nom du groupe Afrique, n'a d'ailleurs pas hésité à qualifier cette convention d'« historique », soulignant l'importance de la volonté politique et de la détermination collective dans ce processus.
Il est indéniable que le nouveau traité onusien affiche des objectifs ambitieux dans la lutte contre la cybercriminalité. Il vise notamment à renforcer la coopération internationale pour combattre plus efficacement des fléaux tels que la diffusion d'images pédopornographiques et le blanchiment d'argent en ligne. L'étendue du périmètre couvert par le texte est vaste.
De vives inquiétudes
Et c'est sans doute cela qui inquiète le plus les opposants, défenseurs des droits humain comme géants de la tech. Le traité permet en effet à un État d'enquêter sur tout crime passible d'au moins quatre ans de prison selon sa législation nationale, en demandant aux autorités d'un autre pays toute preuve électronique liée à ce crime. Il autorise également la collecte de données auprès des fournisseurs d'accès.
Deborah Brown de Human Rights Watch n'hésite pas à parler d'une « catastrophe pour les droits humains » et d'un « moment sombre pour l'ONU », qualifiant le traité « d'outil multilatéral de surveillance sans précédent ». Le spectre d'une utilisation abusive du traité par des régimes autoritaires pour réprimer les dissidents, les journalistes ou les minorités plane désormais.
Microsoft et Meta vent debout
Nick Ashton-Hart, représentant plus de 100 entreprises du secteur dont Microsoft et Meta, appelle les États à ne pas signer ni appliquer cette convention. Les craintes portent sur la possible criminalisation d'activités protégées, comme le journalisme d'investigation ou l'activisme en ligne. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a lui-même exprimé de sérieuses réserves, appelant à placer les droits humains « au cœur de la convention ».
Paradoxalement, certains pays, comme la Russie, estiment que le traité fait trop de place aux droits fondamentaux, le jugeant « saturé de garde-fous ». L'Iran a même tenté, sans succès, de faire supprimer des clauses protégeant les libertés d'expression, de conscience et d'association. Ce clivage illustre la difficulté de trouver un équilibre entre la nécessité de lutter contre la cybercriminalité et la protection des libertés fondamentales à l'ère numérique.