En juillet dernier, la loi sur les services numériques paraissait au Journal officiel, provoquant la colère des autorités américaines. Cette taxe ciblant les géants de l'internet, baptisée « Gafa », cristallise les tensions entre la France et les États-Unis, qui ont décidé de répliquer.
Pour tenter de contrer l'optimisation fiscale opérée par les géants du Net – Google, Amazon, Facebook, Apple et consorts –, le gouvernement français a mis au point une taxe sur les services numériques (TSN), rapidement baptisée « taxe Gafa ». Le texte vise toutes les entreprises qui offrent une interface numérique où des utilisateurs rentrent en contact les uns avec les autres – typiquement les réseaux sociaux – ainsi que celles qui ont recours à de la publicité ciblée, avec Google en ligne de mire. Ce nouvel impôt est d'autant plus circonscrit qu'il ne concerne que les sociétés réalisant 750 millions d'euros de chiffre d'affaires dans le monde et 25 millions en France. Le taux est de 3 % des revenus générés dans l'Hexagone.
Colère américaine, détermination française
Face à une telle déclaration de guerre commerciale, les États-Unis ne sont pas restés immobiles très longtemps. Dès juillet, le département du commerce extérieur américain a ouvert une enquête dont le rapport de 93 pages vient de sortir. Les enquêteurs concluent que cette loi constitue une « politique discriminatoire envers les sociétés numériques américaines ». Suivant les préconisations du document, le président Trump multiplie les menaces de taxation des produits français exportés outre-Atlantique. Le champagne, le fromage, le vin, les produits de luxe ou de beauté sont dans le collimateur d'une liste noire : « la liste des produits français soumis à des droits potentiels comprend 63 sous-catégories d'une valeur commerciale approximative de 2,4 milliards de dollars », résume un communiqué des autorités américaines. L'objectif est de compenser les 2,4 milliards que devrait coûter la « taxe Gafa » aux entreprises visées. La France pourra s'expliquer le 6 janvier. Ces tensions économiques ont été au centre des crispations, déjà nombreuses, qui ont éclaté lors du dernier sommet de l'Otan. Le chef d'État américain et le Président français ont tenté de jouer la carte de l'apaisement. « Nous avons un différend mineur » et « nous allons pouvoir le surmonter », a déclaré Donald Trump, tandis qu'Emmanuel Macron abondait dans ce sens : « je pense qu'avec le Président Trump nous pouvons régler cette situation ». Ce discours tranche pourtant nettement avec la véhémence des messages passés par les ministres respectifs. « Mon message va être clair. Nous n'abandonnerons jamais, jamais, jamais, cette volonté de taxer de manière juste les géants du numérique, pour avoir une fiscalité du XXIe siècle qui soit juste », affirmait Bruno Lemaire le 2 décembre sur France Inter, tandis que Wilbur Ross estimait, sur CNBC, « l'Europe n'a pas vraiment de champions hi-tech (…). Il y a beaucoup de jalousie ».
En attendant une taxe mondiale
Ces tensions autour de la taxation des géants du Net interviennent alors qu'est discutée en coulisse une loi internationale. Un projet avait même été arrêté lors du dernier G7 à Biarritz. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a, dans ses cartons, un texte qui semblait faire consensus et le camp français était prêt, dès l'adoption de celui-ci, à modifier sa loi « Gafa ». Les autorités américaines, bien conscientes qu'il y a là un important réservoir de trésorerie fiscale qui échappe à l'impôt, semblaient acquiescer. Le Sénat avait apporté son appui. L'idée est d'avoir les outils nécessaires pour imposer des revenus réalisés à distance, sans présence physique. Ces derniers sont aujourd'hui largement délocalisés, notamment dans les paradis fiscaux. Depuis, les États-Unis bloquent le texte et menacent. Sans doute l'administration Trump ne veut pas, à quelques mois de l'élection américaine, fâcher Google et Facebook, plateformes où se jouent aujourd'hui les votes. La guerre est donc toujours larvée et les produits français risquent d'être taxés à hauteur de 100 %.