Si les données personnelles sont l'or noir des géants du numérique, le sable en est assurément l'or blanc. Aucun appareil qui façonne le quotidien, des téléphones portables aux objets connectés, en passant par les ordinateurs, ne pourrait fonctionner sans ce matériau aux propriétés fascinantes.
L'ensemble de notre civilisation est bâti sur… du sable. Sans sable, point de construction : il en faut environ 10 kg pour une fenêtre, 20 tonnes pour une maison, 30 000 tonnes pour un kilomètre de route. Sans ce matériau, point d'ordinateur, de tablette, de smartphone, de montre, de bracelets connectés ou d'objets intelligents. Quelque 50 milliards de tonnes sont extraites chaque année. Bonne nouvelle, le sable, en particulier le quartz, est composé à 25 % de silicium ou silice, qui est l'élément le plus répandu sur terre après l'oxygène. C'est ce silicium, en l'occurrence le dioxyde de silicium (SiO2), qui est indispensable dans la fabrication des microprocesseurs, cœurs de tous nos objets technologiques.
La puce et le grain de sable
Des dires même d'Intel, le champion mondial des microprocesseurs, ceux-ci « sont les appareils les plus complexes qui soient », avant d'ajouter, dans une récente vidéo de promotion de son savoir-faire : « il faut les technologies de fabrication les plus avancées au monde et l'expertise de milliers d'ingénieurs, de techniciens et d'architectes pour les créer ». Et à la base, on retrouve... du sable ! Le processus passe d'abord par la séparation du silicium et de la matière brute. Cette étape de purification est effectuée à de multiples reprises pour atteindre le standard de fabrication défini par l'Electronic Grade Silicon. La silice obtenue doit être si pure qu'elle ne peut contenir qu'un seul atome étranger par milliard d'atomes de matière pour être aux normes. Un peu comme dans une soufflerie de verre, le SiO2 est ensuite liquéfié à très haute température (1 700 °C). Un grand cristal est alors formé, le bien nommé « lingot ». Cet objet fascinant est ensuite débité en fines tranches appelées « wafers ». La surface est polie avec précaution jusqu'à obtenir un miroir parfait. Les ingénieurs recouvrent ensuite le miroir d'une fine pellicule photorésistante. La suite relève un peu de la photographie. Le wafer est placé sous un générateur de rayons UV. Entre lui et cette grande lampe se trouve un masque, où est dessiné « le plan » du microprocesseur, et une lentille qui va permettre de réduire au maximum la surface d'impression. Cette étape ressemble un peu à ce qui se passe sur la pellicule argentique d'un appareil photo. L'exposition à la lumière « imprime » l'image sur la surface photosensible. Dans la puce, les zones exposées à la lumière deviennent solubles et peuvent donc être retirées. Les transistors apparaissent alors. Pour bien mesurer la prouesse de la démarche, le processeur Intel Core i9 comporte 5,5 millions de transistors dans le CPU sur 3 cm², le tout gravé sur une épaisseur de 5 nm ! Les techniques de gravure actuelles permettent de graver plus de 30 millions de transistors sur une tête d'épingle. Ces transistors, 10 000 fois plus fins qu'un cheveu humain, vont agir comme des interrupteurs lorsque l'électricité circulera dans la puce. Après les nombreuses étapes de « gravures » réalisées sur plusieurs épaisseurs, le silicium est bombardé d'ions à des vitesses dépassant les 300 000 km/h. Cette exposition permet d'améliorer considérablement la conductivité du sable. Le reste, aussi complexe que minutieux, relève de l'assemblage. Ce sont ces propriétés de semi-conducteurs qui font que le silicium est pour le moment le seul matériau utilisé dans la production de processeurs et la pierre angulaire de l'édifice technologique. Le successeur désigné du silicium est le graphène, qui chauffe nettement moins, permettant d'atteindre des fréquences de l'ordre du térahertz, mais la technologie n'est pas encore prête. AMD, le concurrent d'Intel remarqué pour ses excellents processeurs, estime que le silicium ne sera pas remplacé avant une dizaine d'années. L'extraction n'est pas près de s'arrêter.