Le jeu vidéo est encore largement considéré comme une activité ludique excluante, un loisir peu constructif dont les excès poussent à des comportements addictifs et au repli sur soi. Des voix s'élèvent contre cette représentation limitée. Sandrine Zelinsky, ancien manager chez Thales, devenue coach professionnelle spécialisée dans le jeu vidéo, pense exactement l'inverse. Entretien.
Quel parent n'a jamais été saisi d'inquiétude en voyant son enfant passer des heures devant les jeux vidéo ? Quel joueur n'a jamais ressenti une certaine gêne en abordant sa pratique ? Inutile de culpabiliser ! Certes, l'activité vidéoludique charrie toujours une image négative où s'entremêlent violence, risques de déscolarisation et comportements addictifs, mais sa représentation change. Sandrine Zelinsky, coach professionnelle spécialisée dans le jeu vidéo, nous explique comment le jeu vidéo peut être le « facteur X » de l'univers professionnel.
Pouvez-vous nous décrire rapidement votre parcours ?
« Après un diplôme d'études comptables et financières, je me suis dirigée vers différents métiers de la finance, comptabilité, gestion, organisation et je me suis spécialisée dans l'intégration des nouveaux outils informatiques. J'ai pu constater la difficulté des individus à appréhender la dimension virtuelle des systèmes d'information. En tant que manager, je ne parvenais pas à accompagner mes collaborateurs dans leur montée en compétences informatiques. Mon fils est passionné de jeux vidéo, j'ai rapidement compris qu'il trouvait dans ses expériences vidéoludiques de nombreuses ressources qui lui seraient utiles dans son futur parcours professionnel. J'étais à l'époque en charge des apprentis chez Thales. J'ai alors découvert que les joueurs n'avaient pas d'appréhension vis-à-vis de la complexité des nouveaux outils et méthodes de travail. Il ne me restait plus qu'à trouver en quoi leur pratique les rendait différents et donc utiles dans l'entreprise ».
Le monde du travail est en perpétuelle évolution, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier de « game changer support » ?
« La première fois que j'ai entendu ce terme, c'était à un séminaire organisé par Ubisoft et l'association Game for Change. L'idée qu'un joueur de jeu vidéo a un rôle dans l'évolution des modes de pensée faisait écho à mes récentes découvertes. Je suis convaincue que leur vision du monde professionnel devrait inspirer les entreprises. Les joueurs vivent dans un univers virtuel dont l'essence même est l'adaptation. Ils souffrent en revanche du manque de légitimité de leurs expériences vidéoludiques. Mon rôle de " game changer support " est de les accompagner dans l'identification de leurs forces et de mettre en lumière leurs qualités et compétences dans la vie réelle ».
Vous faites la différence entre « soft skills », qui désigne les compétences comportementales, et « hard skills », ou compétences dites techniques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
« Le monde professionnel évolue, les modes d'organisation sont davantage tournées vers des structures " projet ". Les " hard skills " deviennent des expertises qui n'ont d'utilité que si elles sont dirigées vers la réalisation d'un objectif commun, la réussite d'un projet dans un temps donné. Avoir des compétences techniques est indispensable mais ne suffit plus. L'instabilité de l'environnement économique impose aux entreprises une remise en question perpétuelle. C'est là que le " game changer ", un joueur de jeu vidéo qui aurait développé des " game skills " (capacité d'adaptation, autonomie, gestion du stress, travail d'équipe, capacité de décision, etc.), peut être d'une grande utilité ».
Que répondez-vous à la plupart des gens qui ne considèrent pas les jeux vidéo comme une activité sérieuse, lucrative et constructive ?
« Aristote conseillait : " joue et tu deviendras sérieux ". Albert Einstein disait : " le jeu est la forme la plus élevée de la recherche ". Chez les joueurs, j'ai trouvé les professionnels les plus motivés et engagés dans un travail d'équipe.
Le secteur du jeu vidéo est en pleine expansion, qu'il s'agisse d'e-sport ou de développement de jeux, les opportunités sont de plus en plus nombreuses. C'est un secteur à construire avec eux en s'appuyant sur leur passion et leur vision ».