L'histoire du géant chinois Huawei a tout du grand roman d'espionnage. Accusé d'être les oreilles de Pékin par les grandes puissances occidentales, le spécialiste des télécoms, qui a connu une croissance fulgurante en 2018 et qui devrait détrôner Apple cette année sur le marché des smartphones, est également au cœur de la grande guerre commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine. Retour sur un feuilleton que n'aurait pas renié John Le Carré.
Nous sommes le 12 janvier 2019. Huawei, à travers un communiqué lapidaire, annonce le licenciement de l'un de ses employés, Wang Weijing. L'information aurait pu passer inaperçue si ce cadre de la firme chinoise n'était pas en poste… en Pologne. Les services de renseignements polonais l'accusent d'avoir transmis des informations sensibles à Pékin. Tous leurs regards sont alors tournés vers le nouveau mastodonte des télécommunications. Les bureaux du groupe chinois en Pologne et le siège de l'autorité des télécoms ont en effet été perquisitionnés dans la foulée.
Ces actions policières ouvrent un nouvel épisode dans le truculent feuilleton Huawei. Quelques jours auparavant, la justice chinoise venait de condamner à mort Robert Lloyd Schellenberg pour trafic de drogue. Le rapport ? C'est là que les péripéties deviennent piquantes : à la demande des États-Unis, les autorités canadiennes ont arrêté, le 1er décembre dernier, la directrice financière de Huawei, Sabrina Meng Wanzhou. L'administration de Donald Trump accuse le concurrent d'Apple d'avoir violé les règles américaines relatives à l'embargo sur l'Iran. La décision de la justice chinoise envers le ressortissant canadien intervient quelques jours avant que ne soit évoquée, à Ottawa, l'extradition de Sabrina Meng Wanzhou vers Washington. Une manière comme une autre de faire pression sur le gouvernement canadien…
Un roman d'espionnage
En 2015, les États-Unis sortaient de l'accord sur le nucléaire iranien et rétablissaient une large palette de sanctions envers tous les pays, même alliés, qui auraient la mauvaise idée de faire négoce avec Téhéran. On se souvient que le groupe bancaire français BNP-Paribas avait accepté de payer une amende record de 8,9 milliards de dollars afin de ne pas perdre le droit d'exercer sur le sol américain suite à des transactions avec le régime des mollahs. En pleine guerre commerciale avec la Chine, les États-Unis font ainsi d'une pierre deux coups. Ils frappent à la tête le plus grand concurrent d'Apple et envoient un message clair à Pékin : la bataille sera rude.
Ces coups bas commerciaux interviennent alors que la méfiance envers Huawei n'a jamais été aussi importante en Occident. Bien connu du grand public pour ses tablettes et ses smartphones offrant un rapport qualité/prix imbattable, le groupe, fondé en 1987 par Rend Zinguai – un ancien gradé de l'Armée populaire de libération –, est en effet aussi un grand spécialiste des infrastructures réseaux, notamment mobiles. Devenu la fierté du Parti communiste chinois (PIC), c'est lui, par exemple, qui a installé l'architecture 4G en Norvège, comme dans de nombreux autres pays. Orange lui a également confié la gestion du cloud de ses clients (hors entreprises) pour rester compétitif face à Free, au grand dam des autorités françaises. Dans d'autres pays où l'opérateur français a obtenu le déploiement des antennes mobiles, le FAI tricolore est souvent passé par Huawei pour le matériel.
L'épisode ravive de mauvais souvenirs et renforce les suspicions. En 2012, les informaticiens du siège de l'Union africaine, construit par la Chine et équipé par Huawei, ont découvert que toutes les données de leurs serveurs étaient envoyées à Pékin. Depuis, Huawei est accusé d'être le cheval de Troie du gouvernement chinois… de la même manière qu'Apple, Google, Facebook ou Microsoft ont été accusés d'être les « grandes oreilles » des services américains. Pour le moment, les preuves manquent. Ainsi, les autorités européennes hésitent-elles entre vigilance accrue et boycott. « [Huawei est] une entreprise qui a une place importante en France, [...] et dont les investissements sont les bienvenus, estimait Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, début décembre. Si certains de ces investissements doivent toucher la souveraineté nationale ou des technologies sensibles, c'est à nous, le gouvernement, de fixer certaines limites. »
L'Allemagne demande davantage d'éléments à charge. Il y a toutefois peu de chance pour que Huawei soit retenu dans le grand plan européen de développement de la 5G, pourtant spécialité du Chinois. Les États-Unis, eux, ont déjà convaincu leurs proches alliés du groupe de renseignement Five Eyes – l'Australie et la Nouvelle-Zélande – de fermer leurs portes à Huawei. Cela ne devrait pas empêcher le groupe d'écouler 225 millions de smartphones en 2019 (+16 %) et de passer devant Apple, juste derrière Samsung, sur le podium des premiers vendeurs de téléphones de la planète.