Victime collatérale de la guerre commerciale sans merci à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine, Huawei, interdit d'utiliser des technologies américaines, a décidé de lancer Harmony OS, son propre système d'exploitation pour smartphone, afin de concurrencer Google et son Android.
Depuis août dernier, Huawei, le géant chinois des équipements de télécommunication, ne peut plus utiliser de technologies américaines. Au terme d'un scénario digne d'un roman de John le Caré, le fleuron de l'Empire du milieu ne peut donc plus compter sur la licence de Google pour équiper ses téléphones du système d'exploitation Android. C'est ainsi l'accès à tout l'écosystème de la firme de Mountain View qui est refusé à l'entreprise basée à Shenzhen et, en bout de course, à des centaines de millions d'utilisateurs à travers le monde. En effet, comment un téléphone peut-il se passer de Youtube, Gmail, Drive ou encore GoogleDocs, quand on connaît la popularité de ces services à travers le monde ? Pire, Facebook, Instagram ou Twitter, et leurs 4,5 milliards d'usagers cumulés, font également partie de l'interdiction. Le coup porté à Huawei fut dur. Avant cet énième avatar de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, sur fond d'espionnage de masse, la firme chinoise était en passe de devenir le premier vendeur de smartphones, devant Apple. Depuis, le rapport de force a de nouveau basculé en faveur de la Pomme, de Samsung ou encore de Xiaomi, autre géant chinois qui n'est pas (encore) frappé d'anathème. Huawei a même été expulsé du top cinq au premier semestre 2021.
Un système d'exploitation maison
Pour stopper l'hémorragie, Huawei a décidé de frapper fort. Dans les semaines à venir, l'entreprise va déployer son propre système d'exploitation pour concurrencer frontalement Android et mettre à mal la domination sans partage de Google. Techniquement, Harmony OS est basé sur le même noyau qu'Android, à savoir Linux, qui est open source. Les utilisateurs qui ont déjà eu en main un smartphone Huawei, avec la surcouche maison EMUI, ne seront donc pas dépaysés. C'est toutefois à l'ensemble de l'écosystème qu'il faudra s'habituer. La barre de recherche Google est remplacée par l'application PetalSearch, Google Maps par le système de navigation GPS PetalMaps. Il en va de même pour de nombreux services interdits. Les grands réseaux sociaux (Facebook, Twitter ou Instagram) restent prohibés. L'objectif immédiat de Huawei est de convaincre les codeurs de fournir en application l'AppGallery, l'équivalent de Google Play ou de l'Appstore d'Apple. La firme chinoise se vante d'avoir un bataillon de 2,7 millions de développeurs déjà conquis et 540 millions de téléchargements mensuels. Les premiers appareils à recevoir Harmony OS seront le Mate 40, le P40, le Mate 30 ou encore la MatePad Pro. Le P50, l'impressionnant prochain porte-étendard haut de gamme de la marque, sera livré d'office avec ce noyau. Huawei souhaite déployer le système d'exploitation sur l'ensemble de ses 200 millions d'appareils, y compris les objets connectés et ordinateurs, d'ici à la fin de l'année et conquérir, dans le même laps de temps, 100 millions de produits fabriqués par des entreprises tierces.
Un pari risqué
Ce sera sans doute là le plus gros défi de l'entreprise. Des mastodontes comme Samsung avec Tizen, ou Microsoft avec Windows Mobile, n'ont rien pu faire contre la puissance de feu de Google. Huawei peut toutefois compter sur l'adhésion probable des entreprises chinoises, qui représentent tout de même 57 % des ventes de smartphones dans le monde. Sur le sol chinois en tout cas. Seront-elles prêtes à franchir le pas en Europe, en Inde ou aux États-Unis au risque de perdre une part importante de leurs ventes ? Rien n'est moins sûr : ni Xiaomi ni Oppo ni Vivo – les trois plus grands vendeurs chinois en dehors de Chine – n'ont exprimé publiquement leur intérêt pour Harmony OS. Dans le même temps, Google a largement communiqué sur un nouveau système d'exploitation, Fuchsia, qui se passe de Linux et qui, pour le moment, est destiné aux petits objets connectés et domotiques. La guerre des OS ne fait que commencer.