Des milliers de jeux de société ont laissé des traces éparses dans l'histoire de l'humanité sans qu'on puisse véritablement en connaître les règles. Mais une équipe de chercheurs de l'université de Maastricht (Pays-Bas) a mis au point un algorithme d'intelligence artificielle qui permet d'en déchiffrer les mystères et d'en apprendre davantage sur les mœurs et coutumes d'une civilisation.
Oui, il y avait une vie ludique avant la Nintendo Switch, la PS4 et le Monopoly ! Non, il n'y a pas que Mario Kart ou le Blanc-Manger Coco dans l'histoire du jeu. L'homme joue depuis la nuit des temps. À l'instar des primates, qui sont connus pour apprendre en s'amusant avec ou sans objets, les plus anciens représentants de l'humanité avaient une activité sociale ludique.
Les objets miniatures que les archéologues considèrent comme les premiers jouets apparaissent vers 10 000 ans avant notre ère. Il faudra attendre la civilisation égyptienne, à partir de - 3 000 ans, pour que l'on trouve trace de jeux de société, dont le Mehen, le jeu du serpent, et le Senet, le jeu du passage, sont les représentants les plus célèbres. Il ne nous reste aujourd'hui que peu d'exemplaires en bon état, mais ils apparaissent sur bon nombre de gravures ou de peintures funéraires égyptiennes. Le premier, en forme de serpent, requiert six figurines (trois lions et trois lionnes) et trente-six billes, qui doivent évoluer sur un plateau en spirale découpé en de nombreuses cases. Le second, sorte de damier d'une trentaine de cases, est plus mystérieux, mais pourrait être l'ancêtre du Backgammon.
Grecs et Romains laisseront des centaines de jeux de dés et d'intéressants passe-temps stratégiques et militaires, comme le Latroncules. Or, les historiens ont bien du mal à en retranscrire les règles. Elles représentent pourtant une mine d'informations inestimables sur la culture d'une époque et sur les mœurs d'un temps. Le lien entre le Pachisi indien et le Patolli mexicain interpelle encore plus. Les deux planches du jeu se ressemblent étrangement : elles ont la même forme et les cases sont identiques à bien des égards. Sauf que ces deux jeux sont apparus bien avant 1492 et la découverte des Amériques par Christophe Colomb.
L'intelligence artificielle à la rescousse
Déchiffrer les mystères des jeux anciens, c'est enrichir l'histoire, voire la réécrire. Les historiens n'ont que des fragments épars, des artefacts cachés dans des tombes, des bribes de carnets de voyage, des planches taillées dans la roche ou des hiéroglyphes. Pour les aider à résoudre ces impossibles puzzles, les érudits peuvent désormais compter sur le projet Digital Ludeme, qui vise précisément à combler ces lacunes dans les connaissances historiques.
Pour ce faire, les chercheurs de l'université de Maastricht, aux Pays-Bas, ont développé un programme avancé qui utilise l'intelligence artificielle pour reconstruire environ mille jeux historiques. Mieux, en téléchargeant le petit logiciel qu'ils ont développé (Ludii.games), il est même possible d'y jouer ! Le pouvoir de l'intelligence artificielle Ludii vient de sa façon de décomposer les règles et les propriétés d'un jeu. Elles peuvent inclure le nombre de joueurs, la façon dont les pièces peuvent se déplacer sur le plateau ou les conditions de victoire. Tout élément connu, notamment à travers des sources fiables historiquement, est transformé en code, appelé « ludeme ». Tous les « ludemes » utilisés pour modéliser un jeu forment son empreinte digitale unique. Ludii se charge de combiner et de mettre à l'épreuve ces éléments, afin de donner une reconstruction probable de chaque jeu historique. Les algorithmes prennent en compte la variante humaine – est-ce qu'un homme de cette époque et de cette nation jouerait à ce jeu-là de cette façon-là ? – ainsi que la dimension ludique.
Cette approche a déjà fait ses preuves. En plus du millier de jeux déjà intégrés dans sa base de données, Ludii est venu à de nombreuses reprises en aide aux archéologues. L'an passé, par exemple, elle est parvenue à reconstituer les règles d'un vieux jeu de plateau romain découvert en 2006 par des chercheurs dans une tombe en Slovaquie. On peut désormais y jouer sur le portail Ludii.