Connaître l'espèce d'une plante sans en savoir la variété exacte revient à considérer un chien sans faire de distinction entre un terre-neuve et un teckel, approximation regrettable selon que l'on vive en villa ou dans un studio… Alors en quoi une variété horticole est-elle spécifique ? Illustrons le propos par un exemple concret : l'abricotier polonais.
Le peuple polonais vit en Pologne et parle le polonais. Pour dire oui, il dit « tac » et pour dire non, il dit « nié ». Il ne rechigne jamais à boire une « piwa » à la pression, et arrose son jardin et cuit ses pâtes avec de la « voda ». Il nous a légué un pape superstar, la révolution copernicienne et un compositeur de nocturnes. En revanche, l'abricotier qui porte son nom n'a, lui, rien de polonais.
Un long voyage par deux chemins
L'abricotier (Prunus armeniaca) est originaire d'Asie centrale et orientale. Il aurait été introduit dans le bassin méditerranéen au début de l'ère chrétienne mais il n'est arrivé en France qu'à la Renaissance. Deux filières d'importation peuvent se distinguer, une en provenance d'Italie via la vallée du Rhône, une autre en provenance d'Espagne, par le Roussillon. Ces deux pré-variétés, mères de tous nos cultivars, développèrent, chacune de leur côté, des caractéristiques distinctes : une amande douce et l'autofertilité pour le premier, une amande amère et l'autostérilité pour le second.
De nombreux visages
Elles ont engendré ensuite, par le truchement de croisements et d'hybridations, la trentaine de cultivars que nous cultivons dans nos jardins : bergeron, polonais, luizet, hargrand… Tous ont des caractéristiques propres qui les distinguent les uns des autres, et qui influent sur la qualité du fruit, la précocité de la floraison, la résistance au climat et aux maladies ou les exigences en matière de nature du sol. Ce dernier point peut cependant être atténué par l'utilisation d'un porte-greffe.
Entrons dans le détail
Également nommé « abricotier orangé de Provence », l'abricotier polonais est une création française ancienne, dont le fruit eut le bon goût de plaire au roi polonais Stanislas 1er Leszczynoski, duc de Lorraine, d'où son nom. C'est la variété qui est traditionnellement cultivée dans le grand Est et la vallée du Rhône. Il supporte l'altitude et le froid jusqu'à -15 °C, mais c'est principalement sa floraison tardive, en mars-avril, qui, en préservant les fleurs et les jeunes fruits des dernières gelées, le préconise pour les départements plus au nord. À bonne exposition et placé contre un mur orienté au sud, il peut produire jusque dans la région parisienne. Puisqu'il est autofertile, il n'a pas besoin de pollinisation croisée, et peut donc être planté en sujet isolé.
Le fruit polyvalent
D'une taille moyenne, de 4 à 5 centimètres de diamètre pour 40 à 60 grammes, les fruits, de forme oblongue, ont une peau bien orangée surteintée de rouge. Leur chair, d'excellente qualité gustative, est ferme, fondante, juteuse et parfumée. On peut donc les consommer sous toutes les formes, frais ou cuit, au sirop, en tarte ou en confiture, là où d'autres variétés, plus farineuses ou moins juteuses ont un éventail d'utilisations plus limité. La récolte a lieu au début du mois de juillet quand d'autres variétés peuvent être cueillies dès la fin juin ou après la mi-août.