L'ethnobotanique est la science qui étudie la relation qui se lie entre les hommes d'un terroir et les plantes qui y poussent. Des usages et des croyances que l'ethnobotaniste recueille et grave dans le marbre de notre mémoire collective, l'histoire, longue comme le bras, du romarin et des humains, est à ce titre un cas d'école.
Le jardinier regarde trop souvent le jardin et les plantes par le petit bout de la lorgnette du beau et du bon, de la couleur et du parfum. Ce qui relève des usages traditionnels, fruits de siècles de transmission, s'est perdu dans les méandres de la désertification rurale en moins d'un demi-siècle. La chimie a remplacé l'herboristerie, les manches d'outils ne se fabriquent plus dans le frêne du jardin et les rameaux de genêt ne font plus les balais. C'est alors à l'ethnobotaniste que revient la rude besogne de consigner, pour l'éternité, l'intelligence que durent déployer les hommes pour tirer profit de leur environnement végétal.
De l'homme et des plantes
L'ethnobotanique est la science qui étudie l'usage des plantes par les peuples. Née à la fin du XIXe siècle, elle s'est d'abord uniquement tournée vers l'étude des populations « indigènes » dans leur relation avec les végétaux, avec l'idée d'en tirer des connaissances utiles et inspirantes. La discipline introduite en France en 1945 fut ensuite plus prosaïquement appliquée aux usages des plantes dans nos terroirs. Nous devons à Pierre Lieutaghi, éminent spécialiste, une grande partie des savoirs étalés dans cet article*.
Une vieille connaissance
Le romarin était utilisé durant l'Antiquité dans les brûloirs des autels et les encensoirs de cérémonies religieuses, et près de 500 ans avant notre ère, Hippocrate lui attribuait déjà des effets contre la fièvre. C'est d'ailleurs du fait de ses nombreuses propriétés médicinales que sous le règne de Charlemagne, il est inscrit au capitulaire de Villis, longue liste de plantes dont la culture était préconisée dans les jardins impériaux. De là, sans doute, date sa large extension loin de ses terres d'origine. À la Renaissance, la distillation héritée des Arabes permet d'en tirer une eau dite « cordiale », sorte d'élixir de jouvence fort prisé à l'époque. Le romarin rentre également dans la composition de l'eau de Cologne et du « vinaigre des quatre voleurs », qui aurait, durant certaines épidémies de peste, préservé miraculeusement de la maladie d'audacieux bandits détrousseurs de cadavres.
Longue comme le bras
Au gré des époques, la liste des propriétés médicinales attribuées à tort ou à raison au romarin fut de tout temps impressionnante. Antipyrétique, cicatrisant, antispasmodique, tonique, il serait aussi un remède efficace contre les problèmes respiratoires (asthme, maux de gorge, grippe) et aiderait même à sortir d'un état dépressif. Sous forme d'huile essentielle, l'aromathérapie moderne distingue plusieurs espèces chimiques aux vertus tantôt anti-infectieuses, tantôt décontractantes musculaires.
À table !
Aromate fort en gueule, compagnon des viandes à ce point puissant qu'il a la capacité de masquer les saveurs lorsque le cuisinier en use sans parcimonie, le romarin est associé depuis longtemps à la nourriture, notamment pour ses propriétés digestives. En tisane, comme la sauge officinale, c'est un stimulant biliaire qui aide à la digestion des repas gargantuesques, que Dioscoride, autre médecin de la Grèce antique mentionnait déjà. Et comme si cela ne suffisait pas, le bois de romarin a longtemps servi à fabriquer des cure-dents !
Et le bois ?
Une fois carbonisés, les fins rameaux de romarin servaient de fusain à dessin tandis qu'en raison de ses supposées vertus anti-calvitie, le bois servait à fabriquer des peignes.
Pour aller plus loin, consultez l'ouvrage Une ethnobotanique méditerranéenne, de Pierre Lieutaghi aux éditions Actes Sud.