Après avoir été progressivement définie à travers deux siècles de jurisprudence, la notion de trouble anormal de voisinage a fait son entrée dans le Code civil au printemps. Qu'est-ce que cela change ? On fait le point.
Être gêné par l'arbre, l'élevage ou encore le bruit de la climatisation de son voisin sont des situations banales qui alimentent le très abondant contentieux des troubles anormaux de voisinage. Alors que ces litiges tournent souvent à l'affrontement passionnel, la loi du 15 avril 2024 est venue clarifier cette notion à travers le nouvel article 1253 du Code civil. Me Franck Dymarski, avocat en droit civil et membre du Conseil national des barreaux, nous explique les contours de cette législation.
Pourquoi inscrire dans la loi cette notion issue de la jurisprudence ?
Cette loi est surtout une réponse aux craintes du monde agricole. Depuis la pandémie de Covid-19, bon nombre de personnes se sont mises à faire du télétravail et à s'installer à la campagne, ce qui a provoqué des heurts parfois très médiatisés entre ces nouveaux arrivants et les primo-occupants.
Même si la loi ne change pas le fond du contentieux, elle permet de clarifier cette notion de trouble anormal de voisinage. C'est forcément plus facile de citer un article du Code civil pour faire prendre conscience d'une norme à quelqu'un, plutôt que de lui expliquer la jurisprudence qui a été construite durant plus de deux siècles.
Comment définir un trouble anormal du voisinage ?
La loi reprend les conditions imposées par la jurisprudence à savoir qu'il faut qu'un « trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage » ait causé un dommage à autrui et qu'un lien de causalité soit établi. On pense notamment aux nuisances sonores, olfactives et visuelles.
Ce trouble entraîne alors une responsabilité de plein droit de son auteur. Il n'y a donc pas besoin d'établir une faute mais seulement le dommage. Un trouble anormal peut en effet exister alors qu'aucune réglementation n'a été enfreinte. C'est par exemple le cas si votre voisin a un arbre de plus de 2 m de haut qui respecte les distances légales de plantation mais dont le feuillage empêche le soleil de pénétrer dans votre jardin. De même, un bloc extérieur de climatisation est soumis à des normes de bruit et d'orientation, mais même en les respectant, il suffit que l'appareil soit placé dans une cour d'immeuble faisant caisse de résonance pour provoquer un trouble anormal.
Quelles sont les exceptions posées par la loi ?
La loi établit une liste limitative de personnes pouvant être à l'origine de ce trouble : le propriétaire, locataire, occupant sans titre, bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds et le maître d'ouvrage. On cible ici les occupants dans la durée, en excluant notamment les professionnels qui interviennent de façon temporaire. S'ils causent des nuisances, il faudra donc les poursuivre sur un autre fondement juridique.
Le texte écarte également toute responsabilité en cas de trouble anormal préexistant, dès lors que l'activité concernée est conforme aux lois et règlements et qu'elle se poursuit dans les mêmes conditions. Autrement dit, on ne peut pas se plaindre des nuisances inhérentes à une activité qui était déjà exercée avant qu'on emménage.
La loi ajoute une autre exception spécifique au monde agricole puisque le Code rural précise désormais qu'en cas de changement des conditions d'exercice de l'activité pour se mettre en conformité avec la loi, il ne sera pas non plus possible de rechercher la responsabilité du professionnel. C'est typiquement le cas d'un éleveur ou d'un agriculteur qui crée de nouvelles nuisances en se mettant en règle.
Quelles sont les limites de cette loi ?
Le législateur ne peut pas aller dans le détail et établir un inventaire à la Prévert de tous les troubles imaginables parce que c'est infini. L'appréciation in concreto par un juge reste donc indispensable. En définitive, cette loi constitue donc un fondement juridique supplémentaire mais va forcément de pair avec la jurisprudence puisque le contentieux des troubles anormaux de voisinage, c'est du cousu main.
Comment réagir en cas de trouble anormal du voisinage ?
Le premier réflexe doit être une tentative amiable pour trouver une solution au litige en bonne intelligence. C'est d'ailleurs une obligation légale avant tout procès. Si le dialogue avec votre voisin échoue, vous pouvez vous tourner vers un médiateur, un conciliateur de justice ou une procédure participative avec l'assistance d'un avocat. Ce n'est qu'en cas d'échec que vous pourrez assigner votre voisin en justice pour demander à faire cesser le trouble en cause sous peine d'astreinte et réclamer des dommages-intérêts.
Ce type de litige peut toutefois être très onéreux puisque les preuves sont compliquées à établir et nécessitent en général des expertises poussées. De même, la procédure peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années.