Voyage

Attraction polaire

Jadis réservés aux explorateurs, l'Antarctique et ses archipels périphériques s'ouvrent progressivement à un tourisme réglementé. À bord du Resolute, une centaine de croisiéristes effectuent le voyage de leur vie vers ces territoires préservés.

Lorsque la corne de brume retentit dans le port d'Ushuaia, toute la ville est prévenue : le RCGS Resolute part pour l'Antarctique ! Le voyage sera mémorable. Avant de rejoindre le mythique continent blanc, le navire affrété par la compagnie canadienne One Ocean Expeditions va en effet faire escale dans les Falkland et en Géorgie du Sud, deux fragments de l'Empire britannique à la faune extraordinaire (www.oneoceanexpeditions.com). Dès sa sortie du Canal Beagle, qui protège la Terre de Feu des furies océaniques, le Resolute plonge dans le tumulte des « cinquantièmes hurlants ». C'est ici que commence le « Grand Sud », parmi les lames déchaînées, l'écume des déferlantes et les vents de force 12. Les spécialistes l'appellent « la zone de mauvais temps permanent ». « Il n'y a pas d'endroit plus fort, plus violent ni plus beau en navigation » résume Olivier de Kersauson. Le voyage du Resolute est une croisière d'expédition. Son itinéraire est donc soumis aux aléas météorologiques. Mais les passagers sont confiants. Ils sont dans l'un des bateaux commerciaux les plus robustes et les plus stables qui soit. Pendant les journées de traversée, des conférences régulières les informent sur la biodiversité de ces confins australs. Des annonces les alertent également sur la présence de vie sauvage à proximité du bateau. « Albatros à tribord, pétrels géants à 6 heures ! » Tout le monde dégaine alors son appareil photo et se précipite sur les ponts extérieurs. Dans un essaim d'oiseaux marins, ces « princes des nuées » escortent le Resolute jusqu'à Port Stanley.
C'est sous un ciel d'encre que la capitale des Falkland accueille le navire. Heureusement, un dicton veut qu'« on ne quitte jamais Stanley dans les mêmes conditions qu'on y est arrivé. » Avec ses cottages fleuris, ses cabines téléphoniques rouges et ses pubs embrumés, la petite ville cultive son identité britannique. Les Falkland furent découvertes par les Anglais à la fin du XVIe siècle. Deux-cents ans plus tard, ce sont les Français qui tentèrent d'y fonder une colonie de ravitaillement. Comme la plupart étaient de Saint-Malo, ils rebaptisèrent ces îles du nom de Malouines. L'entreprise tourna court et Louis XV céda l'archipel au roi d'Espagne. Par déformation, les Malouines devinrent Malvinas, jusqu'à ce que la couronne d'Angleterre se réapproprie les lieux en 1833. La guerre de 1982 entre le Royaume-Uni et l'Argentine montre que la souveraineté des Falkland est un sujet sensible… L'archipel garde d'ailleurs de tristes stigmates de ce conflit. Sur la plage paradisiaque de Gypsy Cove, les hommes s'affairent toujours à déminer sous le regard indifférent des manchots de Magellan.

La grande ménagerie

On ne la voit pas, elle n'est gardée par aucun douanier, mais c'est une des frontières majeures de la planète. La convergence antarctique marque la rencontre de l'Atlantique Sud avec l'océan glacial. Quand on la passe, la température de l'eau chute aussitôt de plusieurs degrés, favorisant la présence de krill, cette petite crevette dont raffolent baleines et manchots. Située sur cette ligne d'abondance, la Géorgie du Sud possède une des plus grandes densités de vie sauvage au monde. On la surnomme le « Serengeti austral ». À son approche, l'effervescence est à son comble sur le Resolute. Mais on n'aborde pas ces rivages enchantés à la légère. Des consignes de biosécurité très strictes en régissent l'accès. À chaque descente à terre, les croisiéristes doivent passer par une « mud room » pour enfiler leurs bottes. Ces dernières sont nettoyées à la brosse et à l'acide pour les débarrasser de toute source de contamination végétale ou microbienne. Même les velcros des habits sont minutieusement inspectés. C'est au prix de telles précautions que la Géorgie du Sud a retrouvé son innocence originelle. Car au XIXe siècle, lorsque l'Occident s'éclairait à l'huile, la chasse à la baleine battait son plein tout autour de l'île. De cette industrie cruelle, il ne reste aujourd'hui que des usines fantômes. À Grytviken, les éléphants de mer et les otaries à fourrure ont repris possession des lieux, parmi les hangars éventrés et les harpons rouillés.
Les principaux locataires de ce sanctuaire sauvage sont ces oiseaux qui ne volent pas, mais nagent si bien. Seuls les Français les appellent manchots. Les autres disent pingouins. Une équipe de naturalistes encadrent les sorties des voyageurs à Salisbury Plain et Fortuna Bay, où des centaines de milliers de manchots royaux paradent, glissent, rampent, se font la cour, couvent et se chamaillent dans un vacarme malodorant. Les photographes s'en donnent à cœur joie ! Les amateurs d'épopées maritimes, quant à eux, profitent de leur passage à Grytviken pour se recueillir sur la tombe d'Ernest Shackleton. L'explorateur britannique a échoué dans son projet. Il reste pourtant le héros ultime du « Grand Sud ». En décembre 1914, « le Boss » quittait la Géorgie du Sud à bord de l'Endurance avec pour objectif de traverser de l'Antarctique par le pôle Sud. Quelques semaines plus tard, son trois-mâts se faisait piéger par la banquise, avant d'être broyé comme une coquille de noix. Après onze mois passés sur la glace, Shackleton jura à ses compagnons de les ramener sains et saufs ! Le Resolute, qui cingle à présent sur la mer de Scotia, replonge ses passagers dans cette incroyable aventure humaine.

L'Empire des glaces

Chassés par la débâcle, les vingt-huit hommes de l'expédition Endurance parvinrent à rejoindre l'île Éléphant, un rocher sinistre des Shetland du Sud, à l'écart des routes maritimes. La situation semblait désespérée lorsque Shackleton décida de partir en chaloupe chercher du secours en Géorgie du Sud, à 1400 km de là. Lui et cinq compagnons se lancèrent ainsi, au péril de leur vie, sur l'une des mers les plus agitées du monde. Ils accostèrent dix-huit jours plus tard, mais du mauvais côté de l'île… Après avoir franchi cols et glaciers, c'est frigorifiés et affamés qu'ils atteignirent enfin un campement de baleiniers. « Le Boss », qui n'oubliait pas ses camarades naufragés, se démena ensuite pendant des semaines pour organiser leur sauvetage. En août 1916, il les retrouva tous vivants ! L'émotion est naturellement palpable à bord du Resolute, lorsque les reliefs de l'île Éléphant émergent des brumes. Aux alentours, des icebergs aux formes extravagantes annoncent la proximité du continent blanc. Ces masses convulsionnées, qu'on imaginerait conçues par un sculpteur de génie, sont les sentinelles d'un monde onirique.
Terra Incognita jusqu'au début du XXe siècle, cette immensité virginale ne cesse de fasciner. Le vent, la mer et l'humeur du ciel la recomposent d'heure en heure : paisible ou menaçante, féérique ou ténébreuse, vivante ou immobile. Au large de l'île Paulet, une odeur âcre de déjections animales envahit les coursives du Resolute. C'est ainsi qu'une nuée de 200 000 manchots Adélie souhaite la bienvenue à ses visiteurs. Après Brown Bluff, le cap Nord du continent où des légions de manchots papou défilent entre les blocs de glace échoués, le bateau s'aventure dans des baies protégées, propices aux sorties contemplatives en zodiac ou en kayak. Dans celles de Neko Harbour et de Wilhelmina, les glaciers onctueux se dédoublent sur le miroir de l'eau. Sous le ciel atone, le silence est à peine troublé par le souffle des baleines à bosse, qui s'approchent avec douceur des embarcations. Par ici, un groupe d'orques surgit des abysses, tandis que par-là, des phoques de Weddell se prélassent sur leurs radeaux de glace… Sanctuarisées dans le cadre de coopérations scientifiques internationales, ces latitudes primitives donnent tout son sens au concept de « patrimoine mondial ». Le tourisme, souvent coupable de ravages, est ici régulé par l'IAATO (International Association of Antarctica Tour Operators). Depuis 1991, cette organisation s'efforce de responsabiliser les voyageurs : quiconque met le pied en Antarctique en devient l'ambassadeur.

Pratique

Y aller.
La péninsule antarctique est un terrain d'exploration privilégié pour la compagnie canadienne One Ocean Expeditions. Partenaire historique de la Royal Canadian Geographic Society (RCGS), ce spécialiste des régions polaires propose des voyages maritimes basés sur la compréhension et le respect de l'environnement. En soutenant des travaux de recherche, il offre à ses passagers des sources d'informations approfondies et la chance de côtoyer de véritables experts. L'itinéraire « Falkland Islands, South Georgia & Antarctica » donne, en 18 jours, la vision la plus complète de la région et de ses trésors naturels. De nombreuses autres options existent toutefois pour découvrir le continent blanc, en 10 ou 13 jours. L'émerveillement est garanti quel que soit le parcours. Et l'aventure aussi, grâce aux opportunités de randonner et de camper sur le sol antarctique.
One Ocean Expeditions possède trois navires de classe polaire : deux initialement prévus pour des missions scientifiques et le RCGS Resolute. Spécialement conçu pour la croisière, ce dernier affiche une capacité maximale de 146 passagers. Son restaurant à la cuisine raffinée, son bistrot, son salon d'observation, sa bibliothèque bien garnie, sa salle de conférences, son spa et son gymnase permettent de se ressourcer entre les escales. La belle saison pour entreprendre un tel périple s'étend de novembre à mars, lorsque des millions de manchots, d'oiseaux marins et de pinnipèdes viennent à terre pour se reproduire. Durant cet été austral, le soleil ne se couche pas avant 23 heures et le thermomètre oscille autour de zéro degrés.
Contact : voyages@oneoceanexpeditions.com

Renseignements

www.oneoceanexpeditions.com

Jean-Claude Urbain
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