Après un sketch remarqué en 2007, l'humoriste espagnol Juan Joya Borja s'était élevé au rang de « mème » légendaire sur la Toile. Mascotte des internautes, et en particulier du forum Blabla 18 - 25 de jeuxvideo.com, l'icône s'est éteinte le 28 avril dernier à l'âge de 65 ans. Retour sur un phénomène dont seul internet a le secret.
C'est une avalanche d'hommages qui s'est répandue sur les réseaux sociaux à la mort, le 28 avril dernier, de Juan Joya Borja, humoriste espagnol décédé à 65 ans des suites d'une longue maladie. Ce nom n'évoque sans doute pas grand-chose au grand public, mais Borja était devenu, en quelques années, l'une des personnalités les plus connues de la Toile. Sa carrière avait débuté timidement, au début des années 2000, sur la chaîne de télévision locale andalouse Canal Sur. Petite moustache cachant une bouche édentée, cheveux plaqués en arrière, air goguenard, le cabotin y signe régulièrement des pastilles gouailleuses… dans un relatif anonymat. C'est en 2007 qu'« El Risitas » (le rieur), est devenu célèbre avec un sketch qui restera dans les annales d'internet. Borja y raconte une blague sur une séance de vaisselle qui tourne mal. L'histoire n'a rien de bien drôle, mais le fou rire qui secoue El Risitas durant tout le sketch est terriblement communicatif. L'émission Raones de Coloraos, présenté par Jesus Quintero, publie la vidéo sur YouTube. Le carton est immédiat, avec plusieurs millions de vues à la clé.
Le forum Blabla 18-25
La légende est en marche. Les détournements se multiplient avec des traductions toutes plus loufoques les unes que les autres. Le rire d'El Risitas résonne à travers le monde et permet de se moquer d'Apple, de Google, des gouvernements (comme en 2014 en Égypte pour se moquer du président al-Sissi), et donne lieu à des décisions ubuesques, des situations cocasses de Photomontage, des stickers (sorte d'émoticones), des parodies… la folie Borja témoigne de l'extraordinaire créativité des internautes qui s'approprient le personnage élevé alors au rang de « mème », ces phénomènes repris, déclinés et détournés en boucle sur le net. C'est principalement sur le forum Blabla 18-25 du site jeuxvideo.com, une immense communauté d'internautes francophones, que prospère le mythe El Risitas. « En France, ils sont fous de moi », confirmait par exemple Juan Joya Borja en 2019 sur la télévision espagnole. Rares sont les postes où ne figurent pas un sticker à son effigie ou une référence à son personnage. Le site risibank.fr répertorie une partie des émoticones. Ce forum a associé au mème le mot « Issou », vocable incompréhensible pour tous ceux qui ne fréquentent pas les méandres d'internet. Ce terme folklorique est la déformation du prénom « Jésus » égratigné par El Risitas dans son sketch. « Issou » exprime l'étonnement qui est utilisé pour mettre en exergue une invraisemblance. Lors de l'annonce de la mort de Borja, plus de 400 pages d'hommages ont été publiées sur le forum, avec autant d'« Issou » d'adieu et de stickers endeuillés. Il faut dire que la communauté francophone, au courant depuis un certain temps des graves problèmes de santé de l'humoriste, s'était mobilisée pour lui apporter son soutien. Une cagnotte avait été créée, récoltant près de 15 000 euros. Grâce à ces fonds caritatifs, Borja avait pu financer l'achat d'un scooter électrique lui permettant de se déplacer, malgré l'amputation de ses deux jambes à cause du diabète. Dans une vidéo où il apparaissant très amaigri mais très ému par le geste, El Risitas remerciait ses fans. Le phénomène est aussi associé à des débordements. En 2019, La ville d'Issou, dans les Yvelines, par exemple, a subi une campagne de harcèlement, ponctuée par de nombreux canulars de plus ou moins bon goût. Le personnage a aussi été repris par quelques groupes d'extrême droite.
Le mème et l'homme
Ce n'est pour autant pas ce que les internautes retiendront d'El Risitas. Son rire communicatif, sa candeur, sa bienveillance ont fait de Borja une star de l'internet mondial. Le personnage a très vite dépassé l'humoriste. Sa célébrité ne lui aura apporté aucun confort matériel. Durant les derniers mois de sa vie, Borja avait dû être pris en charge par une institution caritative. L'opinion publique espagnole avait laissé sur le bord de la route son histrion. À mesure que le mème prospérait, l'homme tombait dans la désuétude. Son personnage aura eu au moins le mérite de l'élever au rang d'immortel.
