DeepSeek, start-up chinoise d'intelligence artificielle, bouscule l'ordre établi avec des modèles ouverts, performants et peu coûteux qui font trembler des géants comme OpenAi ou Google. Mais derrière cette révolution technologique se cachent des enjeux géopolitiques, éthiques et économiques majeurs.
En quelques jours, la start-up chinoise DeepSeek a fait vaciller l'équilibre du monde technologique. En lançant des modèles d'intelligence artificielle ouverts, aussi performants que leurs rivaux américains mais bien plus économes en ressources, ce nouvel entrant a déclenché un séisme dans un secteur dominé par des géants comme OpenAI ou Google. Derrière cette prouesse technologique se cache une bataille stratégique aux enjeux multiples, entre avancées prometteuses, tensions géopolitiques et questions éthiques pressantes.
Moins gourmand, tout aussi performant
En lançant ses modèles de langage DeepSeek-V3 et R1 fin janvier dernier, DeepSeek a donc frappé un grand coup dans le secteur de l'intelligence artificielle. Ces modèles, disponibles en open source, libres de téléchargement et capables de tourner sur des machines (plus ou moins) grand public, offrent des performances comparables aux outils phares comme GPT-4 d'OpenAI ou Gemini de Google, tout en nécessitant beaucoup moins de puissance de calcul. Ce positionnement unique permet à DeepSeek de démocratiser l'accès à des technologies avancées, en particulier dans les régions du monde où les solutions américaines restent souvent hors de prix. L'application DeepSeek, qui permet de tester ces modèles via un chatbot accessible gratuitement, est rapidement devenue un phénomène mondial, se hissant en tête des téléchargements sur iOS et Android dans plusieurs pays. En une journée, son émergence a provoqué l'un des plus impressionnants crashs du NASDAQ, mettant à mal la valeur boursière de géants américains de la tech comme Nvidia. En rivalisant avec des entreprises disposant de budgets infiniment supérieurs, DeepSeek remet en question le paradigme selon lequel l'innovation en IA dépend d'investissements massifs et de ressources techniques démesurées.
Cadeau empoisonné ?
Malgré son aura de réussite technologique et son positionnement en faveur de l'ouverture, DeepSeek soulève toutefois de nombreuses interrogations éthiques et stratégiques. La politique de confidentialité de l'entreprise mentionne explicitement que les données des utilisateurs – depuis les adresses e-mail jusqu'aux requêtes effectuées sur le chatbot – peuvent être stockées sur des serveurs situés en Chine et exploitées à des fins d'analyse ou partagées avec des partenaires, incluant potentiellement les autorités chinoises. Dans un pays où les lois sur la cybersécurité obligent les entreprises à coopérer avec l'État, cela alimente les inquiétudes sur la possible exploitation des données personnelles à des fins de surveillance ou de contrôle. Les régulateurs occidentaux commencent à réagir : en Italie, DeepSeek a déjà été retirée des magasins d'applications, tandis qu'en Irlande, en Australie et en Belgique, les autorités enquêtent sur les risques liés aux données. Mais les préoccupations ne s'arrêtent pas là. Le modèle économique de DeepSeek, qui repose sur une apparente accessibilité et des coûts réduits, pourrait masquer une stratégie plus insidieuse. En rendant ses modèles ouverts et attractifs pour des pays émergents ou des secteurs stratégiques, la Chine pourrait utiliser DeepSeek comme un « cheval de Troie numérique », renforçant sa présence technologique à l'échelle mondiale tout en rendant ses utilisateurs dépendants de ses infrastructures. Enfin, le positionnement de DeepSeek en faveur de l'open source est lui-même critiqué : certains experts notent que l'entreprise ne publie pas les données ayant servi à entraîner ses modèles, ce qui limite la transparence et pourrait enfreindre des droits d'auteur. Derrière la façade d'une IA accessible et frugale, DeepSeek incarne donc des enjeux bien plus complexes, mêlant questions de souveraineté numérique, dépendance économique et éthique technologique.