Afin de se prémunir des risques de gelées tardives au printemps, certains vignerons décident de reculer les travaux de taille de la vigne. Une expérimentation intéressante que les jardiniers devraient suivre de près, ne serait-ce que parce qu'elle est riche d'enseignements.
Il y a toujours un intérêt pour le jardinier amateur à observer du coin de l'œil les pratiques des professionnels. Car les horticulteurs, maraîchers et autres arboriculteurs aux connaissances encyclopédiques ont du savoir à revendre. D'autant que, là où le jardinage est un passe-temps, l'agriculture est un gagne-pain, dont les acteurs ne peuvent se permettre de perdre une miette. C'est pourquoi quand certains vignerons commencent à modifier leurs pratiques de taille pour échapper aux dégâts des gelées de printemps, il n'est pas inutile pour le jardinier de s'y intéresser. C'est même une curiosité plutôt bien placée…
Le problème du gel tardif
Si la vigne cultivée (Vitis vinifera) est une plante rustique qui résiste jusqu'à -20 °C, elle est en revanche, comme beaucoup de végétaux, très sensible au faible gel (dès -2 °C) au moment du débourrement, lorsque les nouveaux bourgeons ont tout juste commencé à s'épanouir. La fameuse gelée noire du mois d'avril dernier en a donné un triste exemple, tuant dans l'œuf une grande partie des jeunes pousses qui y furent exposées. Le réchauffement climatique, qui semble impliqué dans la survenue de ce genre de désastre agricole, pourrait à l'avenir les rendre plus fréquents. Las de perdre jusqu'à 60 % de leur production, les vignerons étudient des solutions durables pour faire face à cette menace, et la taille tardive en fait partie.
Une histoire de calendrier
Techniquement, il est possible de procéder à la taille de la vigne dès la chute des feuilles, à partir du moment où la plante est entrée en repos végétatif. C'est d'ailleurs de novembre à février que les tailles pratiquées par les professionnels sont les plus fréquentes. Une taille précoce donc, consistant à rabattre les sarments à leur dimension définitive, soit le plus souvent à deux yeux francs (bourgeons) de leur base. Or, il s'avère qu'une taille plus tardive permet de reculer la date de débourrement et de préserver l'état de dormance des bourgeons, ce qui leur confère une bien meilleure résistance au gel.
La taille tardive
Dans les jardins où les vignes sont exposées au risque de gelées tardives, il est acquis qu'une taille décalée au mois de mars permet de repousser le débourrement d'environ une dizaine de jours. En effet, le processus de taille a pour conséquence d'activer la montée de sève, dont la première mouture, très liquide, est extrêmement gélive. C'est pourquoi en Bourgogne, certains vignerons radicaux retardent-ils cette opération jusqu'à la fin du mois d'avril, après les derniers risques de gel. Évidemment, selon les régions, cette date pourra être avancée ou reculée en fonction des conditions climatiques locales.
Antigel naturel
En laissant aux sarments leur dimension acquise durant la saison précédente, on active de surcroît un processus naturel de protection dit « acrotonie ». En effet, ce sont toujours les bourgeons des extrémités qui éclosent en premier. Ce faisant, ils secrètent une hormone, l'auxine, qui ralentit, voire inhibe l'éclosion des bourgeons sous-jacents. Maintenus à l'état de dormance, ceux-ci restent ainsi plus résistants au gel (jusqu'à -7 °C environ). En cas de gelée, les bourgeons sommitaux qui auront éclos seront gelés, mais pas ceux de la base du sarment, encore recroquevillés. Tant mieux, car ce sont eux les plus productifs.
Les larmes de la vigne
Les tailles tardives entraînent des écoulements de sève très liquide. On dit alors que la vigne pleure. Si le phénomène est impressionnant, il est peu préjudiciable au rendement.