Après l'internet des objets, la réalité virtuelle, la blockchain, le multivers ou encore les NFT, une autre notion agite la Toile et les entreprises du numérique : le Web 3.0. Le réseau des réseaux serait en effet en train d'entrer dans une nouvelle ère, décentralisée et communautaire. Alors, vraie révolution ou concept fourre-tout ?
L'histoire d'internet est pour le moment marquée par deux grandes étapes. La période qui s'étend du début des années 90 à environ 2005 est appelée Web 1.0 et se caractérise par une grande décentralisation des échanges. Vint ensuite, de 2005 à nos jours, le Web 2.0. Sur les bases fondées par d'innombrables acteurs et communautés, qui faisaient la richesse du premier âge d'or, de grands acteurs ont ainsi émergé. Fini Napster, bonjour Spotify, adieu l'ETAJV (l'Encyclopédie du jeu vidéo) en France, bienvenue Webedia et Jeuxvidéos.com. Cette époque a consacré Netflix, Facebook, Google ou Amazon dans un grand mouvement de centralisation.
Mais si cette tendance de fond a permis à internet de faire un bond en avant technologique, de rendre les échanges interactifs, de démocratiser la Toile auprès du plus grand nombre et d'offrir des vastes espaces d'expression et d'information (flux RSS, blogs, Wikipédia, plateformes sociales, etc.), elle a aussi révélé d'importants problèmes de pluralité, de neutralité, de protection des données et même de capacité d'innovation. Pour s'en convaincre, il suffit de mesurer le taux de défiance croissant des utilisateurs envers les grandes plateformes, de Twitter à Facebook en passant par Youtube et de compter le nombre de scandales récents, de la surveillance de la NSA à l'affaire Snowden, sans oublier Cambridge Analytica.
Dès lors, beaucoup rêvent d'une nouvelle ère…
Décentralisation, arnaque et sémantique
L'idée du Web 3.0 est née aux tournants des années 2010, alors que la blockchain gagnait en maturité avec le Bitcoin et l'Ethereum. Cette technologie regroupe différents algorithmes autonomes, décentralisés et théoriquement infaillibles de certification des données numériques. L'idée est qu'il est possible de se passer d'intermédiaire et d'allier la puissance créatrice du Web 1.0 et la technologie du Web 2.0, sans les limites de l'un et de l'autre. Dans un système basé sur une blockchain, il n'y a pas d'individu ou d'organe chargé de gérer ou de valider les interactions. C'est sur ce concept que reposent les NFT (jetons non fongibles), nouvel eldorado des technophiles, qui sont des sortes de certificats de propriété numériques. Un NFT permet d'attester que l'on possède bien un objet digital unique (œuvre d'art, collection d'images, articles Wikipédia, Tweet, vidéo, etc.). Ce dispositif permet aussi de rémunérer des artistes sur un site de diffusion de musique (comme Sound.xyz) ou des internautes sur un réseau social décentralisé (tel que Deso.org).
Sur le papier, l'idée a de quoi séduire ; la réalité est plus trouble. Tout d'abord, le principe de blockchain est certes théoriquement infaillible, mais dans les faits, les cas d'arnaques sont légion. OpenSea, la principale plateforme de NFT, en est déjà à sa troisième procédure judiciaire suite à des vols sur son site à travers des vulnérabilités techniques. Pour le moment, on voit davantage dans cette tendance une façon de spéculer sans entrave qu'une véritable révolution. L'enthousiasme est réel mais peine à se répandre. Le NFT du premier tweet acheté 3 millions de dollars en 2021, par exemple, n'a pas dépassé l'offre de 10 000 dollars lors de sa remise en vente en mars dernier. En outre, derrière l'ensemble des grands projets Web 3.0 se cachent les grands noms de l'internet actuel, centralisant la décentralisation. Le site web3isgoinggreat.com (« le Web 3.0 se passe très bien ! ») recense d'ailleurs avec ironie tous les errements de l'internet nouveau.
Difficile donc de dire si nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère ou juste face à un concept marketing vendeur. Une mutation est en cours assurément, mais les contours de sa mue finale sont encore incertains.